Après quelques bières
- Des fois, tu vois, je me demande, si je préfère pas danser avec une fille qui danse très bien plutôt que de faire l’amour avec.
- ????
- Tu me diras, chaque truc a ses avantages et ses inconvénients. Par exemple, c’est pas facile d’avoir des bébés en dansant. Attention, je dis pas que c’est impossible. D’ailleurs, c’est sûrement plus facile que de faire un piernazo ou un boleo alongés. Tu peux pas tourner, tu as le bras qui s’incruste dans les côtes… D’un autre côté, en général, ça dure plus longtemps (enfin en tout cas, je parle pour moi). Tu peux danser pendant plusieurs heures et ça reste bien, parfois même c’est de mieux en mieux.
Le problème c’est que j’ai fait des tas de stages de tango, j’ai pris des leçons avec des maestros, peut-être avec les meilleurs danseurs qui soient, j’ai travaillé, fais des exercices. Il y a eu une progression... Dans l’amour, que dale. On pense que c’est naturel et tout ça, mais qui dit qu’il n’y a pas une technique dernière tout ça, des milliers de figures mêmes pourquoi pas, avec des trucs bien pointus pour les réussir… Des styles différents aussi, radicalement opposés, comme au tango. T’imagines… des profs qui corrigeraient tes défauts, des profs que tu admirerais au point d’essayer de les copier tout pareil au début. T’imagines, le bordel de ces cours de … de … de je sais pas de quoi d’ailleurs, il faudrait trouver un nom, un nom porteur aussi génial que le mot tango. Court, universel, mélodique, un peu mystérieux. Et puis si on rassemble toutes nos heures de danse, ça fait sûrement beaucoup plus de temps que nos heures au pieu. Là encore je parle pour moi. Et la pratique c’est la clé. On n’y peut rien. En plus dans l’amour, on fait toujours à peu près les mêmes trucs. On compte sur l’instinct animal pour nous sauver la mise en enchantant la routine. Le tango aussi c’est une routine OK, mais elle est sauvée par le nombre.
Parce que c’est ça le truc du tango. Ça se danse à plusieurs, Il y a ceux qui s’agitent et ceux qui observent. Le regard des autres est essentiel. Comme ça, les danseurs se transcendent. Pas seulement pour l’épate mais aussi pour l’échange, puisque chacun à tour de rôle, performe et regarde. Dans l’amour, c’est difficilement transposable. Pour l’instant… pour l’instant… Je suis persuadé qu’avec l’universalisation du regard, l’obscénité rampante, et le besoin de distraction bon marché, il y aura un jour un championnat du monde de … de … oui ben j’ai toujours pas trouvé de nom !
Bon d’accord, il y a les films pornos. Mais le problème c’est qu’on apprend rien en regardant bouger des images. C’est ça l’arnaque. On passe un bon moment, on réfléchit, on s’émeut, mais c’est tout. Tu crois que tu apprends à conduire en regardant Police Académie 4 ou que tu apprends à sauter en l’air en regardant Matrix ? Pour apprendre vraiment, il faut pratiquer, ça fait pas de doute. Pratiquer … et se gourer. Faire des erreurs au risque d’être minable, aller aux limites du système, se mettre dans le rouge, pour voir ce qui déconne… ce qui fonctionne. Comment tu vas transposer ça dans l’amour ? ... Ce qui va pas, c’est le côté religieux de l’amour. Pas le côté sacré, parce que le tango aussi c’est sacré. Non le côté religieux avec son surcroît de respect inutile, le corsetage de son appareil moral. Tu vois ce que je veux dire...
Tu me diras le but de faire l’amour c’est d’avoir une famille. Oui … Mais le tango aussi ! Et une famille beaucoup plus grande en plus. Et parfois plus réussie. Enfin bon là j’extrapole…
Et puis il y a la musique…c’est la botte de Nevers ça. La musique c’est moléculaire, ça réveille les trucs enfouis comme un parfum. Ça inspire. Et l’inspiration franchement, quoi de mieux dans quoi que l’on fasse ? Moi des fois ça me met en transe. Dans les meilleurs moments, je sens que je suis possédé par d’Arienzo… comme dans l’Exorciste… Mais je reste correct et tout.
En parlant d’instinct, tu vois, je crois que c’est le carburant du tango. Pour ma part, j’ai jamais vraiment expliqué pourquoi, pendant des années, j’ai donné dans ce truc répétitif. Les mêmes danseurs, les mêmes salles, les mêmes tangos. Et tout ça pas des meilleurs. Parfois l’ennui et la frustration, parfois l’aubaine de l’éternité. Mais j’ai pas trouvé la potion amère. Non.
D’un autre côté, c’est pas mal de faire les trucs sans savoir. Ça permet parfois de toucher la vérité plus directement. En toute innocence… Parce que la technique c’est une armure. Au début, ça te plombe, ça t’empêche d’être naturel. Si tu l’incorpores pas rapidement t’es cuit. Tu trouves pas ta voix… ta voix avec un x. Celle avec laquelle tu pourras t’exprimer pour de bon. Tu gesticules, mais tu danses pas. Quand tu l’as bien en main, c’est vrai, ça t’aide à pourfendre les dragons.
N’empêche que j’ai toujours aimé voir des couples mal danser entre guillemets. Parfois ils déchirent plus que les starlettes du tango. C’est du vécu, du lourd … c’est pas de l’esbroufe. C’est aussi indécent que de les voir dans l’intimité ! Ben tu vois, on a bouclé la discussion là ! Bon allez on va danser… que ce soir je vais sûrement pas faire l’amour !
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